Liu Ruifeng, architecte dplg, fait partie de ces personnalités dont l’envergure s’impose d’emblée comme une évidence, construite au fil du temps, soutenue et portée par une exigence, une intelligence, et une finesse hors du commun. Bientôt de retour en Chine après sept années passées en France, l’architecte revient avec nous sur son parcours.

Liu Ruifeng, où avez-vous grandi?

Je suis né à Yinchuan, une ville de la province du NingXia. Cette région située au nord-ouest de la Chine est notamment réputée pour sa production de baies de goji. Elle reste néanmoins encore méconnue alors qu’elle est pourtant très intéressante car c’est là que se concentre l’immigration intérieure du pays. Ce lieu est très prisé pour sa qualité de vie. Le paysage est également très présent dans cette région végétalisée et humide. Pourtant, je suis et je reste quelqu’un de profondément urbain.

Qu’est-ce qui vous a motivé dans votre décision, celle de devenir architecte ?

J’ai toujours été attiré par les professions libérales parce que j’apprécie avoir une part d’autonomie dans mon travail. Ensuite, j’ai procédé par élimination. A vrai dire, la vue du sang ne m’emballe pas vraiment, le métier d’avocat ne semblait pas correspondre à mon tempérament… Restait l’architecture. J’ai été admis à l’université de ChongQing en 1995. En 2000, mes études d’architecture sont terminées, j’ai alors 22 ans.

Démarrez-vous tout de suite votre carrière professionnelle ?

Oui, immédiatement après mon diplôme, j’ai commencé à travailler pour une agence pékinoise d’architecture, Beijing Oriental Elite. En trois ans, nous avons gagné six concours, et nous avons construit tous les bâtiments. Le plus petit projet faisait 40’000m2. Nous avons aussi perdu des concours et mené des études. La somme de travail était colossale, mais c’était très formateur. Simultanément, j’ai préparé et passé les examens nécessaires à l’obtention du titre d’architecte classe 1. A l’époque, pour obtenir ce grade, il faut réussir neuf examens dans un délai de cinq ans. Maintenant, le délai a été allongé à neuf ans.

Quel est l’avantage pour un architecte d’être classe 1 en Chine?

Pour vous donner une équivalence en France, cela correspond à peu près à une inscription à l’Ordre des Architectes, sauf que celle-ci en Chine est conditionnée par la réussite aux examens. Or, il faut savoir qu’en Chine, les agences d’architecture sont aussi classées, et que le nombre d’architectes classe 1 dans un cabinet coûtent plus cher en terme de masse salariale, mais lui permet d’accéder à des projets plus prestigieux, car il faut avoir un certain nombre d’architectes classe 1 pour postuler à ce type de projet. Contrairement à une inscription à l’Ordre en France dont la finalité reste d’être à son compte, ce n’est pas nécessairement le cas en Chine pour un architecte de classe 1. En tant que salarié, il va bénéficier d’un meilleur statut et collaborer à des projets plus intéressants.

Votre voie semblait toute tracée, pourquoi venir en France ?

J’étais encore jeune. Mon parcours était celui d’un crack, d’un scientifique devenu un bon professionnel, mais un architecte ce n’est pas que cela. Je trouvais qu’il manquait une dimension artistique à mon parcours. La France étant une référence mondiale en architecture – reconnue pour son art et sa culture – m’a donné envie d’approfondir la question. D’autre part, en Chine, depuis le XIXème siècle, la langue française est réputée pour être la plus belle du monde…

Vous arrivez en France en septembre 2004, quelles sont vos premières impressions ?

A vrai dire, j’étais un peu triste. Il faisait nuit. Je regardais par la fenêtre du RER. Le paysage me semblait sans relief et il n’y avait aucun gratte-ciel. L’arrivée à Paris a balayé tout cela, car c’est vraiment la ville lumière ! Elle me rappelle Yinchuan, car on peut l’appréhender à pied, ce qui n’est malheureusement maintenant plus le cas de ma ville natale. J’aime marcher dans les villes.

Vous commencez par suivre des cours de français?

Oui, pendant trois mois, et je peux vous assurer que l’apprentissage de la plus belle langue du monde n’est pas une mince affaire. C’était vraiment dur. J’ai passé l’examen de français fin 2004. Et début 2005, j’ai intégré l’école d’architecture de Paris – La Villette en 5ème année, et j’ai trouvé un travail à mi-temps dans une agence d’architecture en tant que dessinateur. Ce métier offre l’immense avantage de pouvoir être pratiqué à peu près partout dans le monde sans nécessairement maîtriser la langue.

En 2007, vous obtenez votre diplôme d’architecte dplg ?

Mon mémoire de diplôme portait sur l’extension de l’agence Xinhua, l’organe de presse officiel Chinois, l’équivalent de l’AFP en France. En réalité, cette extension d’une surface de 55’000m2 s’avère plus grande que le bâtiment initial. Une des difficultés du projet consistait ainsi à intégrer quelque chose de nouveau sans altérer l’identité de l’ancien. D’autre part, je souhaitais profiter de cette extension pour implanter un périmètre de verdure étendu dans ce cœur de ville pourtant très dense. Dans un souci de cohérence, le bâtiment répond aux exigences écologiques et climatiques que l’on attend dorénavant au XXIème siècle. Le projet s’inscrit comme une adaptation contemporaine d’un type de maison traditionnel chinois, le SiHeYuan, qui s’organise de la façon suivante : Au centre se trouve un jardin. Les espaces autour sont articulés de telle sorte que le regard du visiteur ne peut atteindre le centre du dispositif. En interne, ce mode d’organisation reste ouvert et fluide afin d’intensifier les échanges entre les personnes et les services facilitant ainsi le flux des informations. Ce qui est, vous en convenez certainement, une nécessité dans le monde des médias aujourd’hui.

Ensuite, vous avez travaillé pour Dubosc & Landowski ?

J’y ai travaillé un an. J’ai collaboré à différents projets de logements, de bureaux et de centres commerciaux à Beijing et à Bushan en Corée. C’était très varié, et très formateur.

Vous avez ensuite été embauché par AS. Architecture-Studio?

Oui, j’ai souhaité intégrer une grande agence parisienne pour comprendre comment le travail s’y organise. J’ai collaboré à de nombreux concours, des projets en PPP, à la réhabilitation de l’université de Jussieu. Le travail y était varié, les projets à différentes échelles en France et à l’international. J’y ai beaucoup appris.

A suivre …